Bien que bon nombre d' informations présentées sur ce blog soient le résultat d'un travail personnel, je tiens à remercier Jacques Baudou, responsable en son temps de la revue Enigmatika - revue consacrée à la plupart des grands auteurs français de romans policiers des années 1930-1970 - qui m'a autorisé à utiliser le contenu des numéros 37 et 38 de ladite revue consacrés à Louis C. Thomas. Un grand merci aussi à la famille de Thomas Cervoni - ses neveu et nièce - qui m'ont aidé - et qui m'aident encore - à reconstituer les maillons manquants...


samedi 11 décembre 2010

1 - Les débuts littéraires

Thomas Cervoni – alias Louis C. Thomas
(27-12-1921 – 10-05-2003)

Première Partie : La vie et l'oeuvre de Louis C. Thomas


Thomas, Louis Cervoni naît le 27 décembre 1921 dans le Var à Hyères. Son père, Martin, Toussaint Cervoni, d’origine corse, est alors sergent major d’infanterie, et sa mère, Marie Louise Audisio - hyèroise d’origine italienne, couturière. Il aura deux sœurs : Marie-Jeanne et Jacqueline, respectivement de 2 et 9 années ses cadettes et entre les deux un frère René qui ne vivra que quelques mois.

Le jeune Thomas fait des études au collège Rouvière de Toulon, passe le Brevet Elémentaire, puis intègre l’Ecole Normale de Draguignan où, tout en ébauchant déjà des romans policiers - sa passion depuis l’adolescence {1}, il décroche en 1941 son Brevet Supérieur, ce qui lui ouvre les portes pour être Instituteur {2}.
Après un mois d’enseignement aux Salles-sur-Verdon {3}, il est appelé en 1942 aux Chantiers de Jeunesse {4} et doit se séparer de ses élèves du cours moyen et d’un amour passionné…
D’abord affecté dans une carrière {5} à Laroque-Escalon, près de Cavaillon, il est ensuite envoyé en 1943 en Allemagne, dans le cadre de la loi sur le Service du Travail Obligatoire et toujours pour le compte des Chantiers de Jeunesse, où il travaillera deux ans à Dessau et à Zeitz, dans les usines de l’avionneur Junker.

A son retour de captivité, après la Libération, il reprend son activité d’enseignant aux Bormettes, dans la commune de La Londe, puis à Hyères, mais se retrouve bientôt au cœur d’un drame qui faillit lui coûter la vie, et qui lui fait perdre la vue…
Amateur de romans policiers (dans le style de Siménon qu’il affectionne particulièrement) qu’il dévorait au rythme d’un par soir, mais ne pouvant désormais plus en lire, il va s’inventer des histoires pour lui-même et, sur la demande pressante de son ami de toujours René Panaro {6}, se mettre à en écrire…, au tout début en écrivant "à l’aveugle", en s’aidant d’une règle et de ses deux mains pour canaliser son écriture sur le papier et en faisant corriger ses textes par sa sœur Jacqueline, puis, assez rapidement, à l’aide d’une machine à écrire sur laquelle il recouvre certaines touches avec des bouchons gravés de la lettre correspondante, pour reconnaître leur emplacement au toucher.

Ses tout premiers textes sont des nouvelles comiques grivoises et argotiques publiées dans la revue mensuelle "Dans le train – 3 heures de bonne humeur" en 1949 et 1950.
Son premier récit policier – "L’assassin a tout prévu" – qu’il faut considérer comme une longue nouvelle ou un court roman et qu’il signera René Thomas {7}, sera publié début 1950 dans la revue "Police et Contre espionnage" et à la fin de la même année par Ferenczy dans sa collection de fascicules de 32 pages "Mon roman policier" {8}. Quatorze volumes signés René Thomas paraîtront dans cette dernière collection jusqu’à mi 1954, à raison d’un titre par trimestre en moyenne.
Les premiers récits policiers de Thomas Cervoni – signés René Thomas : "L’assassin a tout prévu" - dans la revue "Police et Contre-espionnage" (n°5 – 1950/T1) et chez Ferenczy fin 1950 ; et au "Carquois" avec "Accident de la route" 3ème trimestre 1951. Des récits de 32 pages.

Pour ces premiers récits policiers Thomas Cervoni raconte qu’il avait pris pour héros l’inspecteur Lémoz, qui ressemblait vaguement à un vieux copain qu’il avait à Hyères et qui fut inspecteur de police à Marseille, et à qui il arrivait des aventures nées de son imagination, sans aucun rapport avec la réalité {9}.
Pendant cette période, deux incartades : la première en 1951 pour les Editions du Carquois {10}, avec "Accident de la route" – dans la série "Deux heures de… mystère", elle aussi de 32 pages ; et la seconde en 1953 pour le Fleuve Noir et sa série Spécial Police, avec son premier "grand" roman "Jour des morts" qu’il signe Thomas Cervion {11}.

Le premier "grand" roman de Thomas Cervoni : "Jour des morts" au Fleuve Noir – juillet 1953, sous la signature de Thomas Cervion. L'auteur remaniera le texte pour la réédition de 1971 qui paraîtra aux Edirions Denoël.

Ce premier grand roman voit apparaître un autre personnage récurrent : le commissaire Paron – une sorte de Commissaire Maigret, que l’on retrouvera dans cinq autres romans et quelques nouvelles, et dont le nom est l’une des variations créées par l’auteur sur le nom de son "ami de toujours" René Panaro.
Maurice-Bernard Endrèbe, dans sa critique "Lu pour Vous" de l’hebdomadaire Détective, dit de lui qu’il faisait avec ce livre " une remarquable entrée dans le genre qui nous est cher ", et qu’il n’y avait rien dans ce roman " qui trahissait le débutant ". Et d’applaudir : " Bravo, Thomas Cervion, et continuez dans cette bonne voie ! " (Détective n°369 du 27 juillet 1953) {12}.
En parallèle à ses récits policiers, il écrit des nouvelles policières dans différents journaux dont Samedi soir et Le hérisson {13},et il écrit des contes pour enfants sous la signature de Serge Thomas {14} pour la revue bimensuelle "Francs-Jeux" {15}. Une soixantaine de contes seront publiés dans la seconde partie des années 50.

Trois numéros de Francs-Jeux de 1957 dans lesquels Thomas Cervoni écrivit un conte pour enfants : n°257 (1er février) "Le ranch Maudit" ; n°265 (1er juin) "La caverne sacrée" ; n°268 (15 juillet) "L’appel de la Jungle"



{notes}



{1} - Dans un entretien accordé à Jacques Baudou et reproduit dans le n°38 de la revue Enigmatika en juin 1990, Thomas Cervoni indique qu’enfant il était un gros lecteur de romans d’aventures, de romans policiers – notamment les petits romans à 50 cts édités par Ferenczy ou Tallandier, et qu’ensuite il lut les Siménon des collections populaires à 3F50, les Fantômas, Arsène Lupin et Gaston Leroux…
{2} - Pour comprendre le système éducatif de l’époque, on pourra se reporter au lien suivant :http://assoreveil.org/finalites_02_2001.html
{3} - Salles sur Verdon était un village de quelques centaines d’habitants, situé à vol d’oiseau à une cinquantaine de km au nord de Hyères, qui fut englouti en 1974 par le remplissage du barrage EDF sur le Verdon en donnant naissance au lac de Sainte-Croix.{4} - Les Chantiers de la Jeunesse Française furent créés après l’armistice de 1940 comme une sorte de substitut du service militaire obligatoire. Les jeunes hommes de la zone libre âgés de 20 ans y étaient incorporés pour un "stage" de 6mois (porté à 8 mois à partir de 1941) pour y accomplir des travaux d’intérêt général, mais avec une organisation paramilitaire. Les chantiers mobilisèrent la classe appelée sous leurs drapeaux en novembre 1942 et envoyèrent 16.000 jeunes en Allemagne, dans le cadre de la loi sur le Service du Travail Obligatoire concernant les jeunes gens nés entre 1920 et 1922. Voir l’article de Wikipédia sur le lien suivant :http://fr.wikipedia.org/wiki/Chantiers_de_jeunesse.
{5} - L’auteur utilisera ses connaissances liées à ce milieu dans son roman "Une chute qui n’en finit pas" – 1985.
{6} - Thomas Cervoni eut deux amis d’enfance : M. Guérin, horticulteur, et René Panaro (1920 – 1987), contrôleur divisionnaire du Trésor à Toulon - son "ami de toujours".
{7} - René Thomas : pseudonyme formé à partir de son prénom et de celui de son meilleur ami René Panaro
{8} - Thomas Cervoni indique qu’ayant écrit un petit roman de la longueur voulue, il l’avait envoyé au hasard chez Ferenczy qui l’avait accepté et qui lui en avait commandé d’autres (voir entretien avec Jacques Baudou op. cit.).
{9} - Voir Enigmatika n°38, op. cit. Thomas Cervoni indique que ces premières aventures n’avaient aucun rapport avec la réalité, mais très vite il s’attachera à fournir des textes les plus crédibles possibles, avec le souci du détail et de la précision poussé à l’extrême.
{10} - Les Editions du Carquois font partie de ces petites maisons d’éditions éphémères d’après guerre et de second ordre, qui disparaissaient aussi vite qu’elles étaient apparues. Georges Degandt – dit Bouboul – fut un des deux fondateurs de cette maison d’éditions.
{11} - Thomas Cervoni écrivit ce "grand" roman courant 1952, le fit taper à la machine par son ami, et l’envoya au Fleuve Noir, à Paris (voir entretien avec Jacques Baudou, op. cit.). Dans "L’Almanach Magazine 59" de Radio-Télé Luxembourg, il raconte qu’il écrivit ce premier roman sur une règle d’écolier - en enroulant une feuille de papier autour d’une règle, et en écrivant sur l’épaisseur de la règle recouverte de papier, et en faisant faire ¼ de tour à la règle pour passer à la ligne suivante. "Jour des morts" – 225 pages, équivaudra à 6750 tours de règle… Il reçut une réponse positive un an plus tard, avec un contrat liant son pseudonyme de Thomas Cervion au Fleuve Noir pour une durée de 10 ans.
{12} - Thomas Cervoni écrira à M.B. Endrèbe pour le remercier, ce dernier lui répondant en l’encourageant à continuer… ce qui sera le début d’une longue amitié (voir entretien avec Jacques Baudou, op. cit.).
{13} - La nouvelle "J’ai payé d’avance", reproduite dans le numéro 38 d’Enigmatika et publiée dans le recueil de nouvelles "Crimes avec Préméditation" en 1993 fait partie de ces premières nouvelles publiées dans la presse.
{14} - Serge Thomas : pseudonyme formé à partir de son prénom et de celui de son neveu et filleul, Serge, né en 1950.
{15} - Francs-Jeux fut une revue pour enfants patronnée par l’Enseignement Primaire qui parut de 1946 à la fin des années 70. Il existait une version "filles" et une version "garçons". Thomas Cervoni étant lui-même un ancien instituteur et restant attaché au milieu de l’Education Nationale, il n’est pas étonnant qu’il écrivît pour cette revue.

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