Bien que bon nombre d' informations présentées sur ce blog soient le résultat d'un travail personnel, je tiens à remercier Jacques Baudou, responsable en son temps de la revue Enigmatika - revue consacrée à la plupart des grands auteurs français de romans policiers des années 1930-1970 - qui m'a autorisé à utiliser le contenu des numéros 37 et 38 de ladite revue consacrés à Louis C. Thomas. Un grand merci aussi à la famille de Thomas Cervoni - ses neveu et nièce - qui m'ont aidé - et qui m'aident encore - à reconstituer les maillons manquants...


vendredi 10 décembre 2010

2 - Les premiers "grands" romans

Tonifié par la critique faite pour son roman "Jour des morts", il approche Maurice-Bernard Endrèbe, qui lui répond : " Envoyez-moi une nouvelle bien faite et je la donnerai à Maurice Renault " {16}. Maurice Renault est alors directeur des Editions OPTA et de la revue mensuelle "Mystère-Magazine" {17}. La nouvelle "La justice du ciel" sera insérée dans le numéro de février 1954 de ladite revue, encore sous la signature de Thomas Cervion {18}, et précédée de quelques éléments biographiques sur l’auteur.

Dans les différents numéros de "Mystère-Magazine" et de ses résurgences fin des années 70 / début des années 80, Thomas Cervoni publiera une dizaine de nouvelles, entre 1954 et 1981. Ses nouvelles seront aussi publiées dans la revue "Antigone", la revue support de l’Union Générale des Auteurs et Musiciens Professionnels Aveugles (UGAMPA), dont fera partie Thomas Cervoni. La grande majorité de ses nouvelles seront d’une part rééditées sous une forme remaniée dans les deux recueils édités en 1986 et 1993 ("Crimes parfaits et imparfaits" et "Crimes avec préméditation"), et seront d’autre part adaptées pour la Radio ou la Télévision.

Deux exemples de Nouvelles proposées par Thomas Cervoni à Mystère - Magazine, ici dans les années 60




Après le succès encourageant de son premier "grand roman", il décide d’abandonner le format des petits récits policiers pour se lancer dans le roman de taille traditionnelle, mais il préfère quitter la collection Spécial Police du Fleuve Noir qui, disait-il " ne correspondait pas tout à fait à mon tempérament, surtout à l’époque " {19}.

"De sac et de corde" sera publié au deuxième semestre 1954 par les éditions Ciel du Nord (maison d’éditions condamnée à disparaître à court terme) {20} dans sa collection "Le roman Suspense" sous la "nouvelle" signature de Louis Thomas. Il signe là le deuxième titre de la collection en même temps que son deuxième "grand roman", après Michel Lenoir (un des pseudonymes de Michel Cade plus connu sous l’alias de Michel Lebrun), qui a signé le premier titre "Caveau de famille", et qu’il côtoiera de plus près au cours de sa future carrière de romancier et de scénariste / adaptateur.
Le second "grand" roman de Thomas Cervoni : "De sac et de corde" , signé Louis Thomas, au Ciel du Nord au 2ème semestre 1954.

A cette époque, habitant Hyères, il aime se rendre presque chaque jour à la librairie "L’Escapade" du boulevard Gambetta, tenue alors par deux romanciers {21}, l’un d’eux écrivant à ce moment-là pour la maison d’éditions de La Corne d’Or {22}. Qualifié de discret, voire timide, il y vient en compagnie de René, son ami de toujours, pour parler – évidemment… de romans policiers !

Sur les conseils – voire les recommandations de ces deux romanciers, il intègre en 1955 l’écurie de J.C. Berthe à La Corne d’Or, à Nice, et ouvre une nouvelle Collection "Policier", encore sous le pseudonyme de Louis Thomas ; collection qu’il alimente presqu’à lui seul {23}, à raison d’un titre par semestre. Hélas, les éditions de La Corne d’Or vont disparaître fin 1956, alors que "Louis Thomas" n’y a publié que quatre titres…, qu’un cinquième était pourtant annoncé et qu’un sixième était "dans les cartons" de l’éditeur… {24} 

Tué par un ange" – deuxième titre de la collection "Policier" de La Corne d’Or, et les éloges de la critique…












Parti de la machine à écrire, le romancier utilise maintenant le magnétophone, que les rapides progrès techniques et technologiques ont fait passer du fil métallique à la bande magnétique. Une fois l’inspiration venue, il dicte le texte à son micro, revient en arrière pour se relire et se corriger ; ce qui lui donne une complète autonomie, n’ayant plus besoin de quelqu’un pour relire pendant la phase d’écriture…, mais ce qui est beaucoup plus astreignant que pour un romancier voyant !

La critique des titres écrits pour La Corne d’Or est encourageante : Germaine Beaumont, alors critique pour les romans policiers aux "Nouvelles Littéraires" (et que "Louis Thomas" retrouvera une paire d’années plus tard pour "Les Maîtres du Mystère"), persiste et signe : " Avec "Tué par un ange" de Louis Thomas, nous constatons que cet auteur ne dément pas la confiance que nous lui avions accordée ".

En 1956, il rencontre à la maison de convalescence Chateaubriand, à Hyères {25}, une institutrice parisienne, Suzanne, venue se faire soigner. A cette époque, il joue de la guitare et compose des chansons {26}, mais ne trouve personne pour transcrire ses musiques sur les portées. Suzanne sait faire… Une idylle se noue au cours de leurs courtes rencontres… Rentrée à Paris, Suzanne lui demande de venir la rejoindre… "Oui…, si tu acceptes de m’épouser" répondra Thomas… Et malgré l’inquiétude de ses proches, il fera le voyage, seul, par le train, de Hyères jusqu’au cœur du 17è arrondissement de Paris. Une fois monté à Paris, il reçoit une lettre du patron de La Corne d’Or : " Je regrette beaucoup mais je suis obligé de cesser l’édition et je vous renvoie les deux manuscrits que j’avais retenus et que je ne pourrai publier " {27}. Parmi ces deux manuscrits figure celui du futur "Poison d’avril". A tout hasard, et peut-être sur les conseils de Maurice Renault, qu’il avait pris comme agent littéraire, il envoie son manuscrit, qu’il avait intitulé "La femme sans passé", au Prix du Quai des Orfèvres… {28}

En parallèle, il publie début 1957 sous la signature incongrue de Jacques Griss {29} un polar chez Jacquier dans sa Collection La Loupe : "L’assassin connaît la musique" - la dernière énigme que résoudra l’inspecteur Lémoz aidé par son fidèle adjoint Léo Marnier.
"L’assassin connaît la musique : collection "La Loupe – Policier" - 1er trimestre 1957 : un des premiers romans que Thomas Cervoni précise être " nés de la magie de l’enregistrement sur piste magnétique, avant de devenir caractères d’imprimerie sur le papier " (interview Var Matin du 15 juillet? 1995)

{notes}


{16} - Voir la fiche technique auteur consacrée à Louis-C. Thomas dans Mystère Magazine n°282 – août 1971
{17} - La revue mensuelle "Mystère-Magazine" qui était la version française de la revue policière américaine "Ellery Queen’s Mystery-Magazine" et dont le premier numéro fut publié en janvier 1948, changea d’éditeur et de titre en 1976 sous l’appellation "Le Magazine du Mystère", puis encore d’éditeur, avant de disparaître définitivement en 1981.
{18} - Thomas Cervoni dut demander l’autorisation au Fleuve Noir pour ré-utiliser le pseudonyme de Thomas Cervion.
{19} - Voir entretien avec Jacques Baudou, op. cit.
{20} - Encore une autre maison d’éditions de second ordre, cette fois-ci rachetée et managée par le multi-récidiviste des faillites Roger Dermée… A noter qu’en passant du Fleuve Noir au Ciel du Nord, il quitte Armand de Caro pour Roger Dermée, deux hommes qui se connaissaient bien puisque De Caro avait été le comptable de Dermée fin des années 40. Dans son étude sur la vie et l’œuvre de Louis C. Thomas parue dans le n°37 d’Enigmatika, Henry Yvon Mermet indique que le roman ne fut qu’à moitié payé à l’auteur, car l’éditeur fit faillite, et qu’alors Thomas Cervoni dut se tourner à nouveau vers un autre éditeur… Ce sera "La Corne d’Or".
{21} - L’Escapade – Boulevard Gambetta à Hyères : Librairie & Disques, tenue dans les années 50 par René Poscia et Maurice Périsset
{22} - René Poscia écrivit à La Corne d’Or des romans d’espionnage sous son vrai nom et sous les pseudonymes de Mac-Allan Forster et Roddy Gerfeeld (pseudonymes attribués à l’auteur par l’éditeur).
{23} - Maurice-Bernard Endrèbe sera l’autre auteur, et pour un titre seulement ("La mort bat la campagne"), de cette collection policière de La Corne d’Or. Un hasard ?… ou un renvoi d’ascenseur ?…
{24} - Le titre annoncé par le n°2 de la collection "Tué par un ange" comme étant en préparation était "La mort a des lunettes noires", prévu pour la collection Trafic de La Corne d’Or, et le titre en réserve était "La femme sans passé". "La mort a des lunettes noires" étant assez différent de ses œuvres habituelles, l’auteur n’insistera pas pour le faire éditer. Il sera quand même publié en feuilleton, dans Samedi-soir semble-t-il. Quant à "La femme sans passé", son titre se transformera à la demande d’Hachette et de Maurice Renault en "Poison d’Avril"… en obtenant le Prix du Quai des Orfèvres 1957 ! (Voir Enigmatika n°37 op. cit.)
{25} - L’ancien hôtel Chateaubriand situé à Hyères les palmiers fut racheté par l’Education Nationale en 1949 et transformé en maison de convalescence orienté vers la balnéothérapie. Son directeur à l'époque, M. Jourdan, était un ami d'enfance de Thomas Cervoni. Il transportait dans sa voiture les convalescents pour les consultations vers les spécialistes de la région. Un jour, Thomas doit se rendre chez un spécialiste à Toulon ; il monte dans la voiture de Jourdan et y rencontre Suzanne...
{26} - Dans son entretien avec Jacques Baudou, il raconte qu’il écrivit paroles et musique de plusieurs chansons dont une ou deux furent interprétées Il raconte l’anecdote d’avoir écrit une chanson pour la caser dans une des émissions "Les cinq dernières minutes" qu’il écrivit un peu plus tard, mais qu’il fut étonné d’y découvrir à la place, lorsque l’émission passa, une chanson de Jean Constantin…
{27} - Voir entretien avec Jacques Baudou, op. cit.
{28} - Depuis 1946, le Prix du Quai des Orfèvres récompense un manuscrit inédit de roman policier écrit par un écrivain de langue française. Le roman primé est ensuite publié par une grande maison d’édition ; la proclamation du prix a lieu généralement en même temps que la sortie du livre en librairie lors d’un cocktail de Presse organisé au siège de la P.J. par le Préfet de police.
{29} - "Jacques" venant du prénom de sa sœur Jacqueline et "Griss" étant une erreur de l’imprimeur pour Chris(tiane), prénom de sa nièce (Henry Yvon Mermet in Enigmatika n°37 de juillet 1989).

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