A cette époque, la Radio est reine, et les auditeurs peuvent écouter jusqu’à 7 ou 8 feuilletons par jour. Il y en a pour tous les goûts, et les amateurs de suspense et d’émotion se retrouvent certains soirs de la semaine, par millions, pour écouter - ou tenter de résoudre - les énigmes proposées par les émissions de théâtre radiophonique de Radio Luxembourg, RTF ou Europe 1. Les titres des séries sont évocateurs : "Allô… Police !", "Les Maîtres du Mystère", ou encore "Les auditeurs mènent l’enquête" {34}.
Thomas Cervoni collaborera régulièrement comme scénariste-dialoguiste à ces séries : entre 1957 et 1961 pour "Allô… Police !" sur Radio Luxembourg, produite par Maurice Renault, qui est en même temps directeur de la collection "Mystère Magazine" ; entre 1963 et 1969 pour "Les Maîtres du Mystère" sur RadioTélévion Française (RTF), produit par Pierre Billard et Germaine Beaumont – cette dernière pourvoyeuse de romans policiers à adapter ; "Les auditeurs mènent l’enquête" de Jean Bardin et Bernard Hubrenne, sur Europe 1, entre 1960 et 1963, et plus accessoirement aux séries "Accusé, levez-vous !", sur Radio Luxembourg en 1958, "Interpol" sur Europe 1 en 1959, "Le siffleur" sur Europe 1 en 1962 et "C’est gagné, commissaire" sur France II en 1963 {35}.Certains de ses scripts seront réadaptés par la suite par des radios étrangères francophones, comme en Suisse romande et en Belgique {36}, et feront l’objet d’adaptations originales sur les radios allemandes et italiennes.
Quant à la Télévision, elle propose à partir de janvier 1958 sa première grande série policière : "Les cinq dernières minutes", qui va avoir un immenses succès, et pour laquelle Thomas Cervoni n’écrira pas moins de 17 scénarios originaux entre 1959 et1975.
C’est dès courant 1957 qu’il est sollicité par Maurice Renault qui démarre la production - avec Jacques Maurel à la réalisation - de pièces policières dans la nouvelle émission "Allô… Police !" sur Radio-Luxembourg, et qui lui demande d’écrire pour lui. Sous son pseudonyme désormais attitré de Louis C. Thomas, il écrit le scénario original de "L’assassin propose" qui sera produit et diffusé comme second épisode de la série, le 8 octobre 1957. Suivront une trentaine d’épisodes, jusqu’à la fin de l’émission en novembre 1961, avec un dérivatif particulier en 1958 pour la collection de disques-jeu de pièces policières "La clef de l’énigme" produite par Jacques Maurel et éditée par les disques Festival avec un épisode : "Qui veut noyer son chien" {37}.
Dans son entretien avec Jacques Baudou, il raconte comment cela se passait : " (Allô… Police), c’était une émission de 30 minutes environ. Et ce qu’ils voulaient, c’était de l’action. C’était l’époque où l’on faisait beaucoup de bruitages.(…) Il fallait des séquences très courtes, qui se succédaient de manière rapide ". Il écoutait bien entendu la radio lorsque ces pièces étaient diffusées, et il a regretté de ne pas les avoir enregistrées {38}.
En 1958, son roman "Poison d’avril" est adapté par Charles Maître pour la nouvelle émission sur RTF "Les Maîtres du Mystère", et Maurice-Bernard Endrèbe lui suggère de proposer un synopsis pour l’émission TV des "Cinq dernières minutes" {39}. Son scénario original – "Un grain de sable", qui se déroule dans les milieux de la brocante où un crime a été commis, sera accepté et adapté comme le neuvième épisode de la série.
En 1959, il récidive pour le onzième épisode de la série, avec "Sans en avoir l’air", et il est contacté pour venir en aide à l’adaptation pour le cinéma d’un roman américain – "Valse blonde" – mettant en scène une femme professeur de danse qui mène une enquête. Ce sera pour "Voulez-vous danser avec moi ?", film de Michel Boisrond avec Brigitte Bardot en vedette.
Voulez-vous danser avec moi ?", avec Brigitte Bardot et Henri Vidal. Sorti en salle en décembre 1959. Adaptation de Gérard Oury, Jean-Charles Tacchella, Louis C. Thomas…
Dans le même temps, le producteur du film Francis Cosne ayant besoin d’un scénario pour un court métrage, Thomas Cervoni lui écrit le scénario de "La revenante" (1960) qui sera réalisé par Jacques Poitrenaud, avec Guy Bedos et Mireille Darc dont ce sera le premier rôle au cinéma.
En 1960, il intègre l’équipe des auteurs de l’émission d’Europe 1 "Les auditeurs mènent l’enquête", où il écrira une vingtaine de scripts originaux jusqu’à la disparition de l’émission en 1963. Il raconte dans son entretien avec Jacques Baudou comment était construite l’émission : " Dans "les auditeurs mènent l’enquête", c’était différent. Dans l’action, on devait glisser un indice qui permettrait de trouver le coupable. A la fin, on arrêtait l’émission, on posait quelques questions aux auditeurs qui avaient quelques minutes pour téléphoner, et on terminait la séquence toujours sous forme dramatique où le commissaire François donnait la solution ".
En 1961, il publie un roman policier pour la jeunesse : "L’étrange invitation", qu’il a écrit pour son filleul Serge et qui est édité aux Editions GP dans la collection Spirale. Ce roman, publié en pré-original dans le journal "Pilote" sera adapté au théâtre en 1963, à la demande des CEMEA {42}, et sera joué toute une saison, pour le théâtre de la Clairière, à Bobino.
"L’étrange invitation" : un roman policier pour la jeunesse, écrit en 1961 pour son filleul alors âgé de 11 ans. Le nom du héros – Serge Gilles - est un clin d’œil à son filleul et neveu, prénommé Serge.
En 1963, il rejoint l’équipe des Maîtres du Mystère comme auteur de pièces radiophoniques originales, après avoir vu quatre de ses romans adaptés par d’autres que lui pour la célèbre émission {43}. Le producteur de l’émission depuis 1957, Pierre Billard, s’est en effet aperçu que les bons romans ne font pas forcément de bons scénarios, et il demande à une équipe d’auteurs élargie des pièces inédites spécialement écrites pour la radio. " J’ai envoyé un jour un texte à Pierre Billard – dira Thomas Cervoni – qui l’a accepté. C’était plus long, ça durait 50 minutes. Il fallait une histoire plus complète, plus élaborée. (…). J’assistais à tous les enregistrements ; je suis devenu très copain avec Pierre Billard ". Une cinquantaine de pièces signées Louis C. Thomas seront adaptées par lui-même dans les différentes appellations de l’émission {44}, jusqu’à sa disparition en 1974, face à la concurrence de la Télévision {45}.
Thomas Cervoni indiquait qu’il y avait une grande différence entre l’écriture d’une pièce de radio et celle d’un roman : Pour une pièce de radio, il suffisait d’une toute petite idée. Tout passant par les dialogues, il était aisé de maintenir l’intérêt entre les personnages ; alors que pour un roman, l’intrigue demandait à être beaucoup plus étoffée. Il reconnaissait volontiers qu’il avait utilisé certaines pièces radiophoniques comme point de départ de quelques uns de ses romans {46}.
Un certain nombre d’épisodes de la série "Les Maîtres du Mystère" furent éditées en cassette audio, d’abord en 1988 par l’INA et les Editions Nathan, associés à Radio France, mais à un prix trop élevé pour garantir le succès (dix titres seulement, dont le premier fut "La complice" de Louis C. Thomas). A partir de 1995, les éditions du Masque lancent une nouvelle collection moins chère et à l’imitation de la célèbre couverture jaune ornée du masque et de la plume, avec la reprise de 2 titres de Louis C. Thomas.
Aujourd’hui, l’avènement des livres audio nous permet de retrouver parmi la quarantaine de titres édités trois titres phares écrits par Thomas Cervoni :"La complice", "La Chute" , et "Mauvaise conduite".
{Notes}
{34} - La consultation de l’ouvrage de Jacques Baudou "Radio Mystères – Le théâtre radiophonique policier" (INA / Encrage 1997) est incontournable pour appréhender l’histoire de ces différentes émissions policières diffusées par la radio.
{35} - La participation toute relative de Thomas Cervoni à ces trois dernières séries radiophoniques tient uniquement au fait que ces séries eurent une durée de vie très limitée. (voir "Radio-Mystères" op. cit.)
{36} - En Suisse romande dans la série "Enigmes et aventures" sur Radio Sottens entre 1975 et 1981, et en Belgique dans la série "Le polar à la Une" sur RTBF en 1992 et 1993 (voir "Radio-Mystères" op. cit.).
{37} - Se voulant originale, cette collection constituait un jeu de société consistant à écouter un petit drame policier, joué et raconté par des comédiens, d’une demi heure environ, et à trouver le coupable - quelques minutes avant le fin - par un raisonnement logique en se basant sur des indices précis contenus dans l’action. La collection s’arrêta au bout de 4 disques, compte-tenu de son prix prohibitif par rapport à un roman policier traditionnel, et alors que l’écoute de ce genre de pièce policière à la radio ne coûtait rien…
{38} - Et nous aussi, nous le regrettons, car les enregistrements de ces pièces radiophoniques, non conservées par l’INA, sont introuvables. Cette omission est d’autant plus incompréhensible que l’auteur avait à sa disposition une multitude de magnétophones sur lesquels il enregistrait ses propres textes…
{39} - Fin 1958, Maurice-Bernard Endrèbe avait déjà fourni 3 scénarii qui avaient été adaptés pour l’émission, alors à son 8ème épisode.
{40} - Les droits d’adaptation TV pour "Un grain de sable" et "Sans en avoir l’air" seront achetés par la suite par les italiens.
{41} - Voir entretien avec Jacques Baudou, op. cit.
{42} - Les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active (CEMEA) forment un mouvement regroupant des personnes engagées dans des principes de l’éducation nouvelle et des méthodes d’éducation active, qui mettent en action les individus. (Voir cemea.asso.fr et l’article sur Wikipedia)
{43} - Il s’agit de "Poison d’avril", "Dernières volontés" et "La mort au cœur", adaptés par Charles Maître, et "Le froid du tombeau", adapté par Jean Grimod.
{44} - Intitulé à l’origine en 1957 "Les Maîtres du Mystrère", et co-produite par Pierre Billard et Germaine Beaumont, l’émission hebdomadaire faillit s’arrêter en août 1965 pour "désaccord profond sur la conception de l’émission" entre les deux producteurs…, et fut dédoublée en deux émissions programmées en alternance une semaine sur deux – l’une produite par Pierre Billard : "Mystère Mystère" (baptisée "Les Mystères de l’été" en période estivale), et l’autre produite par Germaine Beaumont : "L’heure du Mystère". Les deux émissions perdurèrent jusqu’à leur mise à l’écart par la volonté de la Direction de RTF sur une chaîne mineure en 1974, liée à la concurrence de la Télévision (voir "Radio-Mystères" op. cit.)
{45} - Dans une courte vidéo visionnable gratuitement sur le site de l'I.N.A., "Une rencontre avec Pierre Billard", ce dernier raconte qu’à cette date, les auditeurs de la radio n’étaient plus des auditeurs du soir… la soirée étant réservée désormais à la Télévision.
{46} - Voir entretien avec Jacques Baudou, op. cit. Ce sera notamment le cas de "La Complice".